Génie créateur d'objets d'art somptueux et de bijoux éblouissants, son titre de
"Fournisseur de la Cour Impériale" lui ouvre les portes d'une carrière extraordinaire.
Les célébrissimes oeufs de Pâques rendront le destin de Carl Fabergé indissociable
de l'apothéose, ensuite de la tragique disparition de la famille impériale de Russie.
Originaire de Picardie, convertie à la religion réformée, la famille Fabergé est contrainte de s'exiler hors de France, comme bien d'autres, lors de la révocation de l'Edit de Nantes en 1685. Un siècle et demi plus tard, l'ouverture d'un commerce de joaillerie et de diamants à Saint Pétersbourg par un certain Gustav Faberg ou Faberger, russe des provinces baltes venu d'Allemagne, n'a rien d'inhabituel car à cette époque la plupart des orfèvres sont de souche germanique.
Le 30 mai 1846, naît un garçon baptisé au temple protestant sous le nom de Peter Carl mais qui restera toujours pour les Russes Carl Gustavovitch. Joaillier bijoutier d'exception [ci-contre], le plus connu parmi les orfèvres russes, il apparaît telle une comète dans une époque de luxe et de savoir-vivre, parmi les splendeurs et les pompes de la Cour impériale pour disparaître dans son sillage lors de la Révolution bolchevique.
Entre 1870 et 1917, les ateliers Fabergé produiront environ 150.000 pièces, aussi bien des bijoux que des objets utilitaires, bols à punch ou cadres pour photographies, statuettes en pierres dures ou les légendaires oeufs de Pâques qui feront sa gloire : une gamme très hétéroclite utilisant des matériaux précieux comme l'or, le platine, les diamants et les émaux, mais aussi le bois et la céramique.
Le premier contact de Carl Fabergé avec la famille impériale remonte à 1882 lors d'une exposition panslave réunissant à Moscou quelques 4.000 participants, sous le patronage du tsar Alexandre III. Le catalogue cite de remarquables copies de bijoux grecs que l'on venait de découvrir dans les fouilles de Kertch en Crimée. Ayant obtenu la permission du comte Stroganov, président de la société impériale d'archéologie, de copier quelques-uns de ces bijoux en or - ils avaient été déposés dans le trésor du musée de l'Ermitage - Fabergé reçoit une médaille d'or, la première d'une longue série.
Oeufs Fabergé ayant appartenu à la famille Impériale de Nicolas 2
Volant bientôt de succès en succès, Carl Fabergé prend part aux grandes expositions internationales : Nuremberg où il reçoit une nouvelle médaille d'or et le titre fort convoité de Fournisseur de la Cour impériale ; Nijni Novgorod, Stockholm et Paris où il reçoit la croix de la Légion d'honneur !
Une légende est née : Carl Fabergé, l'inventeur de l'objet de fantaisie, remarquable combinaison entre objet d'art, bijou et objet d'utilité. S'inspirant des pièces du XVIIIième siècle, Fabergé développe une vaste gamme d'objets d'art, tabatières, bonbonnières, horloges et pommeaux de cannes finement travaillés. Ainsi en 1884, le Reichkanzler Bismarck, premier ministre de l'empereur Guillaume Ier,
reçoit des mains d'Alexandre III une tabatière en or avec émail, enrichie de nombreux diamants et d'un portrait du tsar.
Depuis l'étui à cigarettes avec une pensée sertie de saphirs et de roses, emporté en voyage comme cadeau par leurs majestés impériales, se décline une longue liste de broches, bagues, épingles, bracelets et boutons de manchettes ainsi que des icônes en pendentif et des croix ornées, dont l'inventaire est actuellement toujours conservé parmi les Archives d'Etat à Saint-Pétersbourg. Mais l'esprit créatif de Fabergé donne également naissance à de nombreux objets utilitaires : pendulettes, crayons, boutons de sonnettes, coupe-papier, faces à main, alliant à leur fonction domestique une incomparable qualité artistique.
Aux cadeaux diplomatiques s'ajoutent de gros objets comme une monumentale horloge en argent, offerte à Alexandre III et à la tsarine pour leurs noces d'argent, où un kovsh, sorte de grande saucière [ci-après], offert par le tsar et la tsarine au roi Christian IX et à la reine Louise de Danemark pour leurs noces d'or. Mais également un splendide collier en diamants que le tsarévitch Nicolas emporte à Cobourg alors qu'il va rendre visite à sa fiancée, la princesse Alix de Hesse-Darmstadt, la future tsarine Alexandra Feodorovna.
Kovsh monumental, argent doré, émail, quartz.
Collection de la Reine Margrethe de Danemark
Le couronnement de Nicolas et d'Alexandra fait l'objet de nombreuses commandes : broches pour les grandes-duchesses, couronnes pour leurs majestés le tsar et la tsarine, tabatières, présentoirs, étuis à cigarettes et bracelets divers.
Jouissant de la protection de la famille impériale, Fabergé est devenu célèbre en Russie : de nombreuses réalisations sortiront de ses ateliers comme cadeaux du tsar aux empereurs du Japon et de Chine, au sultan de Turquie, aux Cours de Londres et de Copenhague, aux roi du Siam et maharadjahs des Indes. Ses magasins de Saint-Pétersbourg sont le lieu de rendez-vous par excellence de la haute société : grands-ducs et grandes-duchesses, princes Youssoupov, comtes Stroganov et Cheremetiev, les frères Nobel, tous à la recherche du bel objet inédit, original ou amusant.
Saint-Pétersbourg, dont les palais et les avenues brillaient du luxe de la Cour, abritait une société aristocratique ouverte aux influences des modes occidentales. Moscou, au contraire, capitale religieuse et administrative, comptait bon nombre de bourgeois nouveaux riches dont le traditionalisme reflétait la vie moscovite. Installés dans les deux cités, les ateliers Fabergé surent adapter leurs créations à ces clients aux goûts si différents. Ainsi, Saint-Pétersbourg fut la seule ville où Fabergé put exprimer sans limites son style de cour internationale, alors que ses ateliers de Moscou fabriquaient surtout des objets [ci-contre] de style panslave inspirés du Moyen Age, afin de répondre aux demandes d'une clientèle conservatrice.C'est avec la sculpture [ci-contre] d'animaux en pierres dures que Fabergé atteint le sommet de son art. Mais comment attirer l'attention des Russes sur de petites sculptures d'animaux que l'artisanat local fabrique depuis toujours en bois ? Sa stratégie commerciale reposait sur son talent de susciter la demande : présentant ses objets exotiques à Londres lors d'une exposition internationale, il reçoit une commande de la Cour royale d'Angleterre, suivie bien évidemment d'un engouement de la part de la clientèle russe !
Fasciné par la beauté et les couleurs des pierres dures de Russie, rhodonite, jaspe, agate, obsidienne, néphrite, jade, Fabergé maîtrisait à la perfection l'art de les graver et de les polir. La Renaissance a beaucoup intrigué les joailliers de la fin du XIXième siècle pour la virtuosité du traitement des pierres dures et leur transformation en objets de curiosité. S'inspirant des collections du Palais Pitti - les trésors des Médicis - des galeries de Dresde, du Louvre et bien sûr de l'Ermitage, Fabergé crée au sein de sa production une sorte de Wunderkammer, une série d'objets exotiques dont la valeur est d'abord celle de la rareté et de la curiosité qu'ils suscitent.
L'oeuf du Couronnement, 1897
Or, platine, diamants, rubis, cristal de roche, émail, velours
Les Oeufs à surprises de Pâques sont sans aucun doute les créations les plus prestigieuses et les plus célèbres de l'oeuvre de Fabergé. Il était d'usage en Russie - ce l'est toujours - de s'échanger lors de la Pâques orthodoxe des oeufs peints, symboles de résurrection et de vie. Les oeufs de Pâques de Fabergé, distribués parmi les membres de la famille impériale et de la grande aristocratie russe, dérivent de cette tradition populaire.
L'engouement de la famille Romanov pour ces merveilleux objets fit le succès de la firme : les tsars Alexandre III et Nicolas II commandèrent cinquante-six oeufs qu'ils offrirent chaque année à leur épouse, les tsarines Alexandra Feodorovna et Alexandra, lors des fêtes pascales. Presque tous possèdent leurs surprises, tout comme les matriochka, poupées russes en bois s'emboîtant les unes dans les autres. Le premier oeuf impérial était d'or émaillé blanc. On l'ouvrait, il y avait un jaune, on ouvrait le jaune, il y avait une poule, on ouvrait la poule, il y avait la couronne du sacre, on ouvrait la couronne, il y avait un oeuf en rubis !
A gauche, Oeuf du quinzième anniversaire offert par Nicolas II
à son épouse Alexandra Feodorovna à Pâques 1898.
A droite, Oeuf aux muguets offert par Nicolas II
à sa mère l'impératrice douairière Maria Feodorovna à Pâques 1900
C'est Julia Grant, petite-fille du président des Etats-Unis, qui introduit la mode Fabergé aux Etats Unis. Epouse d'un prince Cantacuzène, elle fit connaître la maison Fabergé qu'elle fréquentait à Saint-Pétersbourg à ses amis et connaissances américains.
En 1913, les festivités pour le tricentenaire de la dynastie Romanov permettent à Fabergé d'étaler une nouvelle fois tout son génie créatif. Les articles sont invariablement décorés des aigles impériaux, de griffons ou des millésimes 1613-1913. Mais au lendemain de la célébration du tricentenaire, la guerre éclate : la Russie s'engouffre dans un épouvantable massacre qui va lui coûter des millions de vie.
Aux ateliers Fabergé, ce n'est plus le luxe mais la sobriété qui est à l'ordre du jour. Ne pouvant plus obtenir ni argent ni or, on travaille le cuivre, le laiton et l'acier. Produisant notamment des décorations militaires émaillées, l'art de Fabergé devient austère : l'oeuf à la Croix Rouge, présenté en 1915, est décoré d'une Croix Rouge sur fond d'émail blanc avec les portraits de l'impératrice et de sa fille Tatiana, habillées en soeurs de charité, terme usuel de l'époque pour infirmières. L'oeuf de 1916 est fait d'acier d'obus et contient une miniature du tsar et de l'héritier du trône au front.
Le tsar Nicolas II et la tsarine Alexandra Feodorovna avec la grande-duchesse Anastasia,
entourés du personnel médical d'un hôpital de campagne, 1914
La fin est proche. Obligé d'abdiquer en 1917, Nicolas II est mis en captivité dans son propre palais de Tsarskoïe-Selo. Il n'y aura plus d'oeuf de Pâques impérial cette année-là ...Carl Fabergé fuit la Russie et termine sa vie en Suisse. Retour aux sources, alors que la révocation de l'Edit de Nantes avait chassé ses ancêtres de France et après avoir fait souche en Russie, Carl et son épouse seront finalement inhumés au cimetière protestant de Cannes, dans une modeste tombe de porphyre noir de Suède. Et ainsi disparut à jamais, emportée par la vague rouge de la Révolution bolchevique, toute une société de faste et de grandeur qui avait été sa raison d'être !
Nicolas van Outryve d'Ydewalle
sources / SUPERBE BLOG...
http://meshistoiresdautrefois.hautetfort.com/archive/2012/02/index.html
photos ajoutées google