• Les FEMMES, le FEMINISME et la FEMINITE 1880

     

     

    Les femmes des années 1880 savaient déjà allier féminisme et féminité

     

    En France, la presse féministe de la Belle Epoque montrait la femme comme moderne, active, indépendante et féminine à la fois.

     

    Photo courtesy Rachel Mesch.

    - Photo courtesy Rachel Mesch. -

    À première vue, les récents débats sur les femmes «qui ont le beurre et l’argent du beurre» semblent uniquement américains et strictement contemporains; le produit de notre société sur-performante, du capitalisme et de la pression constante nous poussant à la réussite.

     

    Ils sont aussi un produit des médias de masse et de leurs pressions visuelles singulières exercées sur les femmes.

     

    Or ces pressions n’ont rien de nouveau. En réalité, elles ont commencé il y a plus de 100 ans en France, où furent inventés la photographie et le cinéma, et sans doute aussi la culture de la célébrité (souvenez-vous de Sarah Bernhardt).

     

     

    À peu près à l’époque où les photos de célébrités commencèrent à être publiées dans les magazines français, ceux-ci réinventèrent la façon de présenter la femme française à la page. Au début des années 1900, les publications rivales Femina et La Vie Heureuse introduisirent la femme moderne, bien plus agréable à regarder que ses grandes sœurs dépeintes pendant des années sous les traits de la «Femme Nouvelle» chevauchant un vélo cigarette au bec, portant pantalons et battant son mari (elle-même inventée de toutes pièces par les médias).

    La femme moderne était une magnifique créature capable d’allier à la perfection et dans la bonne humeur féminité et féminisme, le tout sans verser la moindre goutte de sueur. Soudain, le progrès des femmes n’était plus synonyme de revendications mais de performance et de possibilités, ce dont la preuve était offerte par tout un éventail de photographies ne cessant de montrer avec quelle élégance et quelle grâce les femmes adoptaient les rôles modernes. Ce qui leur offrait une nouvelle manière de se voir elles-mêmes sous un jour plaisant, reconnu et affirmé — à la fois une excellente stratégie féministe et un moyen fabuleux de vendre plus de magazines.

    Les corsets étaient déjà sur le déclin en 1911 quand cette publicité, qui plaçait avec l’air de ne pas y toucher le lien entre féminisme et féminité au cœur de l’identité de la femme moderne, apparut dans La Vie Heureuse. Ce fabricant vantait les mérites d’un corset plus doux et plus sain—produit de la recherche médicale la plus récente—qui évitait toute «souffrance ou lésion d’organe» tout en promettant une ligne parfaite:

    Grâce à l’évolution rapide des techniques de photographie, Femina fut bientôt capable de présenter des images montrant d’impressionnantes prouesses tout en suggérant des possibilités métaphoriques. En regardant cette femme réellement en train de prendre une montagne d’assaut, les lectrices étaient subtilement encouragées à atteindre elles-mêmes de nouveaux sommets.

    «Les femmes sont, dit-on, sujettes au vertige» ironise la légende. «Voici une preuve du contraire.» Comme l’alpiniste, cette femme est l’illustration littérale de la réussite féminine au plus haut niveau et ne semble, miraculeusement, nullement gênée par ses jupes bouffantes.

    Le journalisme sportif faisait fureur dans les années 1900, grâce aux appareils photos portables grand angle capables de prendre des clichés de personnes en mouvement. Pour la première fois, vous n’étiez plus obligé d’assister à un événement pour en voir les grands moments. Femina et La Vie Heureuse montraient souvent des femmes athlètes, toujours dans des tenues approuvées par la morale. Cette joueuse de tennis a l’air épanouie, enthousiaste et forte à la fois sans rien perdre de sa féminité.

    Le patin à roulette était le dernier sport à la mode pour les femmes en 1911. L’expression qui se peint sur le visage de cette rinkeuse—une ancienne danseuse—et sa pose gracieuse disent tout: elle roule tout droit vers un avenir plus libre et plus joyeux.

    À la fin des années 1880, les réformes dans le domaine de l’éducation permirent à davantage de femmes de choisir des professions libérales mais les femmes médecins ou avocates n’étaient quand même pas légion. Un article ultérieur de Femina proposa un reportage sur une de ces jeunes femmes, qui avait choisi sa profession afin de pouvoir venir en aide à d’autres femmes et à leurs enfants bien sûr. Elle est décrite comme «grande et mince, confiante, et portant une adorable toilette rouge qui s’adapte très simplement sous sa robe d’avocate

    Le magazine décrivait la conduite automobile à la fois comme une activité sportive et moderne et comme un moyen d’étendre le domaine de la femme au-delà des limites du foyer. Et tandis que la Femme Nouvelle, indépendante et détachée des devoirs de la famille, était associée à la bicyclette—véhicule tenu pour provoquer à la fois plaisirs honteux et infertilité—la voiture avait à l’arrière de la place pour caser les enfants.

    Les têtes couronnées figurèrent parmi les premières célébrités. Les lectrices adoraient admirer leur mobilier et leurs atours exquis mais également constater qu’en tant que femmes, elles étaient «exactement comme nous.» Les bébés permettaient de niveler parfaitement les différences—et franchement, quoi de plus passionnant que l’image d’une reine qui fait faire du dada à son fils?

    D’un autre côté, n’avoir que la tête couronnée ne suffisait plus. Même les reines se devaient d’en faire plus pour impressionner une nouvelle génération de femmes accomplies. Quand la reine de Roumanie publia un recueil de poèmes en français, elle devint une sensation littéraire. Ce numéro annonce le premier d’une série de concours d’écriture qui donneraient naissance au Prix Femina, accordé par un jury exclusivement féminin, aujourd’hui encore l’un des prix littéraires les plus convoités de France.

    Les femmes écrivains figuraient parmi les célébrités les plus chéries du magazine. Chouchou des médias, Lucie Delarue-Mardrus devint célèbre quand son mari (lui-même écrivain reconnu) eut la bonne idée d’envoyer des photos d’elle dans des costumes exotiques, prises pendant leur voyage en Tunisie—succès tout naturel auprès d’un public français friand d’orientalisme. Lorsqu’elle rentra à Paris plusieurs mois plus tard avec un nouveau recueil de poèmes, Delarue-Mardrus était déjà très attendue.

    En 1909, l’Académie française évoqua la question de l’élection de membres féminins. Femina demanda à ses lectrices d’élire 40 écrivaines, contemporaines ou d’autrefois, pour remplir une académie féminine imaginaire. Cette image photoshoppée avec les moyens de l’époque place les gagnantes sur les bancs de la vénérable institution. Malgré l’optimisme du moment, il fallut attendre 1980 (!) pour qu’une femme soit élue à l’Académie française.

    Cette étonnante couverture réalisée par l’artiste très prisé Paul Cesar Helleu assimilait allaitement et élégance française traditionnelle. Certains des romans féminins les plus populaires de l’époque abordaient la question du défi de l’allaitement pour la femme exerçant une profession libérale. Ca vous rappelle quelque chose? Dans un roman de 1909, une vedette montante du barreau court allaiter entre deux séances au tribunal; dans un autre, l’héroïne est un excellent médecin dont l’enfant meurt après que sa nourrice a allongé le lait maternel avec de l’eau pendant que Maman part voir ses patients.

    Malgré la pose peu naturelle—et sûrement intenable!—de la célèbre romancière Marcelle Tinayre, la légende de cette photo ne permet aucun doute sur ses intentions: «Entre le manuscrit commencé et l’enfant à qui elle donne la main, Madame Tinayre, tout en composant de beaux livres, a gardé l’esprit même de la vie féminine, un cœur tendre, l’amour des tout petits, le goût d’orner sa maison.» Comparez cette image et cette publicité pour American Express, étrangement semblable, sur laquelle pose Tina Fey (et qui suggère ce qui se passerait si Tinayre lâchait la main). Plus ça change...?

    Rachel Mesch (textes et photos)

    Traduit par Bérengère Viennot

    Les termes en italiques qui ne sont pas entre guillemets étaient en français dans le texte original.

     

     

    SOURCES

    http://www.slate.fr/story/61983/femme-feminisme-feminite-1880-presse

     

     

     

     

     

     

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