• Frivolités de guerre - mode sous l'occupation

     

    En France, durant la seconde guerre mondiale et surtout l’occupation, les couvre-chefs rivalisent de fantaisie. Ce phénomène ne connaît aucun écho à l’étranger. Paris se trouve alors coupé du reste du monde. Non seulement les clientes anglo-saxonnes ne peuvent plus assister aux collections, mais les périodiques français sont sévèrement restreints par les allemands.

    Et quand bien même elles auraient eu connaissance des extravagances des modistes françaises, je doute que les américaines et les britanniques les auraient suivies. Ces dernières, mobilisées par l’effort de guerre, mettent en veilleuse leur coquetterie. Gaspiller son énergie à des frais de toilettes, alors qu’Albion est assiégée, est jugé peu patriotique. Les chapeaux sont soumis à une taxe de 33%, comme des articles de luxe. Le clergé anglican autorise désormais ses ouailles à assister à l’office tête nue.

    A rebours, la France ayant rendu les armes, les Parisiennes se font un devoir de rester à la hauteur de leur réputation d’élégance. Le Reich cherche par tous les moyens à saper l’influence de Paris, pour faire de Berlin la nouvelle capitale de la mode. Arborer ces galurins invraisemblables devient un moyen de résister, sinon à l’occupant, du moins à la morosité résultant de l’occupation.


    En 1939, les chapeaux de ville sont souvent des déclinaisons autour du feutre d’homme. Pour les occasions habillées, la tendance est aux mini toques enrubannés, bibis emplumés, et autres couvre-chefs de poupées. Ces ornements de tête, plus que chapeaux dignes de ce nom, se portent très inclinés sur le front (généralement du côté droit). La déclaration de guerre y ajoute des coiffures d’inspiration martiale. Les parisiennes affichent des shakos, des chéchias, des Glengarries[1]ou des bonnets à poils de soldats d’opérette.

    Les Allemands entrent dans Paris le 14 juin 1940. Le 22 juin, l’armistice est signé à Rethondes. Ses clauses comportent l’occupation de la moitié nord du pays, qui réduit la capitale au rang de simple préfecture. Le Reich exige en outre 400 millions de francs par jour et l’entretien des troupes allemandes. Les réquisitions massives viennent s’ajouter aux problèmes de production et d’approvisionnement. Les produits de première nécessité se font rare. Les stocks de laine et de coton s’épuisent. Seule la viscose reste disponible, et encore, sévèrement rationnée. On tente de la mélanger à des ersatz (cheveux, poils de lapin voire de chien…).

    A coté de feutres plutôt sages, l’hiver 1940 voit le début de l’épidémie de turban. Bien que quelques cas isolés aient été observés dans les années 30, ce dernier se répand durant les années de privation, pour des raisons de commodités. D’une part, il ne risque pas de s’envoler à vélo. Et puis, les coupures d’électricité rendent les mises en plis difficiles. Quant au shampoing, il est non seulement rationné, mais de piètre qualité. Le turban sert souvent de cache misère aux tignasses mal entretenues. Pour l’ouvrière des pays belligérants, encercler ses cheveux d’un foulard plié en deux, cela permet d’éviter de les salir et les maintient en place[2]. Mais le turban de haute mode est une forme endémique typiquement française. Les modistes inventent de fins drapés et de savants bouillonnés, auxquels une bande de sparterie ou un fort galon donne de l’ampleur.

    Les femmes sont confrontées à l’impossibilité de renouveler leur garde robe. Par un mécanisme de compensation, les chapeaux deviennent la seule note habillée, le seul espace de liberté. Pour oublier leurs semelles de bois et leurs vêtements élimés, les belles arborent des folies en tête. L’été 1941 voit des oiseaux empaillés faire leur nid dans les coiffures, et de petites corbeilles de fruits tenir lieu de couvre-chefs.

    Un chapeau peut se faire dans une chute de tissu de récupération, voire les matériaux les plus improbables. Mme Agnès propose des modèles en copeaux de bois et en coton hydrophile, Rose Valois expérimente le papier buvard, d’Albouy le papier journal chiffonné. J’en ai eu un, portant la griffe d’une obscure modiste de Boulogne, fait en pellicule de film usagée, provenant probablement des studios de Billancourt.

    En 1942, le comité d’organisation de la haute couture réglemente le métrage de tissu autorisé par chapeau. Malgré tout, de saison en saison, ces derniers se redressent comme pour défier l’occupant. Les allemands reprochent cette insolente débauche de fournitures à Lucien Lelong[3]. Celui-ci nie toute responsabilité à la haute couture, ces abus étant le fait de modistes qui « réutilisent des tissus sortis des gardes robes particulière pour en draper des formes aussi inesthétiques que volumineuses ». Les admonestations restent vaines. Les galurins ne cessent de croître jusqu’à la libération, atteignant alors la taille de roues de charrettes.

     

    Erwan de Fligué (Falbalas)

    [1]Le Glengarry est Calot des troupes écossaises. La présence des alliés britanniques lança aussi la mode du tartan et celle du bleu royal air force.

    [2]Le turban de Rosie the riveter est devenu une véritable icône américaine.

    [3]Alors président de la chambre syndicale de la couture

      
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