• Enquête l'affaire du vol des diamants de la Couronne

     

     

     

    Enquête l'affaire du vol des diamants de la Couronne

     


     

     

     

    « On volé les bijoux de la Couronne ! » Le fait divers émeut Paris en septembre 1792. Depuis il a fait rêver bien des amateurs d’histoires à scandale. Lodace vous dévoile quelques secrets sur cette affaire.

    Le vol des diamants de la Couronne, en septembre 1792, compte parmi les énigmes favorites des amateurs d’histoire à scandale. La version « officielle », celle des petits voleurs accomplissant un larcin relevant du fait divers, version reprise par les historiens contemporains, n’est pas satisfaisante. C’est ce qui a permis sans doute une floraisons d’interprétations des plus délirantes. Ainsi Édouard Drumont, l’auteur de « La France juive » (1886), met en cause les joailliers et bijoutiers juifs de la capitale qui furent, selon lui, les principaux receleurs et revendeurs des diamants subtilisés par les petits voleurs.

    Peu lui importe que les patronymes d’origine juive qui apparaissent dans le cours de l’instruction désignent non pas des prévenus mais des témoins cités à l’audience ! Au-delà du « cas » Drumont, il reste que certains faits troublants demeurent inexpliqués et que les commanditaires du vol n’ont jamais été identifiés.

    La tentation était grande de reprendre l’enquête. Un observateur de taille : les archives les plus précieuses sur le sujet, celles qui eussent définitivement levé le voile sur cette curieuse affaire, ont brûlé : il s’agit des actes du conseil provisoire de la Commune insurrectionnelle du 10 août 1792, détruits dans l’incendie de l’Hôtel de Ville de Paris en 1871.

    C’est donc moins à un travail d’enquêteur que d’archéologue que l’historien doit se livre. Pour reconstituer le déroulement des faits, il lui faut explorer telle séries des Archives nationales, puis telle autre des Archives de Paris, qui le renvoie au Minutier central (ce fonds d’archives considérable et très bien conservé qui contient tous les répertoires et minutes des notaires parisiens). C’est à ce prix seulement que, peu à peu, des témoignages ignorés, des copies de procès verbaux des sections, des inventaires inexploités, une fois assemblés, éclairent cette affaire d’un jour nouveau.

    Reprenons les faits : dans la nuit du 16 au 17 septembre 1792, la police surprend quelque voyous au moment où ils viennent de faire main basse sur les bijoux et diamants de la ci-devant (depuis le 10 août) Couronne de France. Un seul cri dans tout Paris : « Le Garde Meuble est volé ! Les diamants de la Couronne sont enlevés ! » Les journaux se montrent prudents.

    Le mardi suivant, « Le Patriote français », rédigé par Brissot s’exprime sur l’affaire avec une réserve calculée car les spoliateurs ont été servis, plus qu’ils n’auraient pu l’être, par le hasard : ce vol audacieux et considérable ne peut avoir été commis par des voleurs ordinaires. « Le Thermomètre du jour », qui passe pour être payé et inspiré par le ministre de l’Intérieur Roland, est plus disert : il laisse entendre clairement que l’opération a été dirigée « de haut » ; il insinue de plus que les sentinelles qui faisaient le guet, les patrouilles qui circulaient sur la place avaient reçu des consignes : elles sont intervenues à un moment où le vol était largement consommé.

    De fait, lorsque sous les colonnades du Garde Meuble, à l’angle de l’actuelle place de la Concorde et de la rue Saint-Florentin, on met la main sur ces voleurs, on récupère quelques mauvais diamants roulés dans des mouchoirs ; les plus prestigieux, tels que le « Grand Diamant bleu », « Le Régent » et le « Sancy », ont déjà disparu.

    Il aurait suffi de moins pour que, les rivalités entre girondins et montagnards aidant, l’affaire prenne, avant toute enquête, une tournure politique. Les montagnards et les membres de la Commune accusent d’impéritie le ministre de l’Intérieur, Roland, qui a dans ses attributions la responsabilité du Garde-Meuble national. Il est vrai que le ministre n’a pas su imposer son autorité : c’est sur lui aussi que retombera plus tard la responsabilité de la disparition de la correspondance secrète de Louis XVI découverte dans une armoire de fer aux Tuileries et qu’il avait été chargé d’inventorier.

    Par une lettre à la Convention, reproduite dans les journaux, le ministre se disculpe en ces termes : « Le vol du Garde-Meuble n’aurait point été commis sans doute s’il y avait eût une garde plus nombreuse et surtout plus vigilante. Cependant plusieurs réquisitions avaient été faites à ce sujet et réitérées de la manière la plus pressante ; j’en fais joindre ici les copies certifiés… » Roland conclu qu’il a été l’objet d’une machination politique à laquelle il lui paraît inutile de donner, faute de preuves, une trop grande importance.

    Le plus urgent est de rassurer l’opinion, après une instruction d’un mois, on livre à la justice quelques-uns des malandrins pris sur la dénonciations des premiers. Dix-sept passent en jugement, cinq sont acquittés et douze condamnés à mort. Parmi ces derniers, cinq seront exécutés, les autres bénéficieront de sursis puis, l’année suivante de remises de peine. Cependant, chacun peut remarquer que le Tribunal criminel a assimilé les accusés à des agents de la contre-révolution en appliquant l’article II de la 2ème section du code pénal : « Toutes conspirations et complots tendant à troubler l’État par une guerre civile, en armant les citoyens les uns contre les autres ou contre l’autorité législative, seront punis de mort. »

    Les interrogatoires subis par les accusés n’aident en rien à retrouver les principaux diamant qui ont, aux yeux de l’opinion, tout comme les autres objets contenus dans le Garde-Meuble, une importance symbolique égale, sinon supérieur à leur valeur réelle.

    Qu’est-ce que le Garde-Meuble ? Un magasin de dépôts mais aussi un musée, dont les salles ont été disposées pour permettre au public de visiter ses collections une fois par semaine. On peut y voir les armures des rois de France, les lits de parades de la cour, la chapelle du cardinal de Richelieu, ainsi qu’une collection des tapisseries unique au monde. Dans l’une de des salles du premier étages sont enfermés dans des vitrines les diamants montés en parure.

    C’est François Ier qui, en faisant don à l’État, par lettres patentes, de ses pierres les plus estimées, était à l’origine du trésor des joyaux de la Couronne. La plupart des parures provenaient d’Anne de Bretagne, qui les tenait de Marguerite de Foix. Il y avait notamment un diamant connu au XVIème siècle sous le nom de la « Belle Pointe ». 

    Plus célèbre encore, un rubis de 206 carats portait le nom de « Côte de Bretagne ». Son sort avait été lié à deux autres gros rubis qui, après bien des aventures lors des guerres de Religions et plus tard encore, réintégrèrent le mobilier de la Couronne grâce à Colbert.

    La « Côte de Bretagne », pierre brute, fut portée par les souverains, taillée en dragon tenant la Toison d’Or dans sa gueule. Sous le règne d’Henri IV, apparut un personnage dont le nom demeure lié à l’histoire des diamants de la Couronne : Nicolas Harlay de Sancy. Il possédait plusieurs diamants sur lesquels il empruntait des sommes considérables qu’il mettait à la disposition du roi.

    L’un des joyaux reçut son nom (le Sancy) ; il fut vendu à Jacques Ier, roi d’Angleterre. Lors de la Révolution anglaise, Henriette de France, fille d’Henri IV, sieur de Louis XIII et épouse de Charles Ier d’Angleterre l’emporta avec elle. Pressée d’argent, elle donna en gage en 1655 en même temps qu’un autre, le « Miroir du Portugal », au duc d’Épernon. La reine les racheta peu après tous les deux pour les vendre en 1657 au cardinal de Mazarin qui, a sa mort les laissa à Louis XIV avec seize autres diamants de premier ordre.
    Au XVIIIème siècle, deux pierres extraordinaires entrèrent dans le trésor : le « Grand Diamant bleu » et le diamant de la maison de Guise. Quand au fameux « Régent » visible au musée du Louvres, l’achat, en 1717, en a été conté par Saint-Simon dans ses « Mémoires ».

    Lors du sacre de Louis XV, on le plaça au centre du bandeau de la couronne, elle-même surmonté d’un fleur de lys dont la pierre centrale était le « Sancy ».
    A la veille de la Révolution et jusqu’en 1792, la garde des objets de la Couronne était assuré par le sieur Thierry, issu d’une famille d’ancienne et haute domesticité.

    La protection de Louis XVI, dont il était l’un des quatre premiers valets de chambre, lui avait permis de constituer une fortune immense . Sous ses ordres venait immédiatement Lemoine-Crécy, son beau-frère, qui possédait la charge de garde général de la Couronne. A partir de 1789, Thierry délaissa sa baronnie de Ville-d’Avray pour occuper avec toute sa famille des somptueux appartement aménagés au Garde-Meuble même, dans l’actuel ministère de la Marin.

    Trois jours avant la tentative de fuite de la famille royale, en juin 1791, l’Assemblée décide de faire procéder à l’inventaire complet des bijoux et diamants du Garde-Meuble. Remis en septembre 1791, le rapport d’inventaire, comparé au précédent, révéla que le trésor avait perdu de sa valeur sous le règne de Louis XVI. C’est seulement en 1792 que Thierry est appelé à la barre de l’Assemblée pour répondre de l’état du Garde-Meuble. Il lui est enjoint de se tenir « aux ordres des commissaires » : c’est un avertissement à cet administrateur d’Ancien Régime soupçonné d’infidélité.

    On commence à craindre que le trésor ait été confié à des gardiens peu fidèles ou susceptibles de se laisser séduire : comment expliquer autrement la provenance des énormes subsides distribués depuis 1790 dans un but contre-révolutionnaire ? A divers objets il manque des portions d’or, des perles ou des pierres précieuses. Le bruit court alors - et on est aujourd’hui fondé à le croire - que Thierry aurait, sous le couvert de réparations ou de retaille, vendu en secret des diamants à l’étranger.

    Une note détaillée (AN, T 399) dans les papiers de Lemoine-Crécy, révèle comment ce dernier marchandait des diamants avec les joailliers hollandais, par l’intermédiaire des fameux banquiers Vandenyver.

    La famille royale avait, il est vrai, une fâcheuse tendance à confondre ses bijoux personnels avec ceux de la Couronne : en effet, si les monarques en avaient la libre disposition - les diamants notamment servait à gager les emprunts - ils n’avaient nullement la propriété de ces objets. En 1785, Marie-Antoinette avait tant et si bien modifié la monture d’une parure de rubis qu’il fut bientôt impossible de distinguer ce qui était du Garde-Meuble et ce qui lui appartenait.

    Elle avait, pour finir, obtenu du roi que la parure entière lui fut donnée en propre. Le journaliste Gorsas se fit d’autre part l’écho dans son « Courrier » de la maladresse insigne de Marie-Antoinette qui avait emporté le « Sancy » avec elle lors de l’épisode de Varennes.

    Dès lors, on trouve fréquemment dans les rapports les plus officiels, la mention d’arrestations, par diverses municipalités, de cargaisons de bijoux et de pierres précieuses en route, semble-t-il, pour l’étranger. Le navire « La Jeune Cécile » est arrêté à Quillebeuf avec une cargaison de bijoux destinée à la reine de Portugais. Le Comité des Recherches est alerté d’autre part sur « L’opportunité de garder la maison [château] de M. Thierry de Ville-d’Avray […] pour empêcher qu’on ne la pille et qu’on en puisse distraire les diamants de la Couronne susceptibles de s’y trouver » (AN D XXIX, 36, dossier 375).

    Dans un tel contexte, alors que les lois sur les biens des émigrés, votées par l’Assemblée en mars-avril 1792, s’efforcent de mettre sous surveillance les biens les plus précieux et les plus aisément transportables pour les empêcher de passer en pays ennemi, il est impensable que, dans l’entourage du roi, on ne se soit pas interrogé sur la destination des diamants de la Couronne en cas d’événement grave.

    Dès le 20 juin 1792, si l’on tient au rapport d’enquête, « Louis Capet, voulant mettre à l’abri tous les diamants et richesses déposés au Garde-Meubles, fit engager l’épouse du sieur Lemoine-Crécy, par Thierry son valet de chambre, à enlever dudit Garde-Meuble tous ces objets et à les cacher dans une armoire pratiquée dans le mur de son alcôve, derrière le chevet du lit, ce qui fut fait ».

    Un artisan menuisier au service de Thierry avoue d’ailleurs aux autorité qu’il s’est « chargé de faire faire des cachettes en divers endroits du Garde-Meuble et dans les châteaux [Ville-d’Avray et Montregard] de Thierry » et a « pareillement établi des petits coffres-forts pour des voitures, pour que le citoyen Thierry puisse plus commodément porter de l’or à Valenciennes... » (AN F7 4774.90).

    Le dimanche et le lundi précédent le 10 août 1792, qui marque la fin de la monarchie, six malles sortent furtivement du Garde-Meuble. Elles appartiennent au gendre de Thierry, Baude de Pont-l’Abbé, et sont acheminées par Azèle, son homme de confiance, chez Prévost d’Arlincourt, ex-fermier général qui, comme la plus part de ses anciens collègues, avait fait passer des fonds en territoire ennemi. Que contiennent ces malles ? Nul ne le sait. Au Garde-Meuble, on s’attend à un événement d’importance. Aux Tuileries également, on brûle du courrier, des archives, et on attend.

    Le 10 août, tandis que les combats font rage dans la cour du château des Tuileries, tandis que l’Assemblée déclare le roi suspendu, la Commune insurrectionnelle prend diverses mesures d’urgence, notamment celle de poser des scellés au Garde-Meuble. Bien que les actes et les registres aient été détruits, on sait que le citoyen Jean-Bernard Restout (1732-1795), commissaire de la section des Tuileries, qui se chargea de le faire, en présence de Thierry et de Lemoine-Crécy, le 11 août.

    Mais demeure une inconnu, et non des moindres : les grands diamants étaient-ils toujours dans leur coffre ? Il semble qu’aucune vérification n’ait été faite puisque, c’est seulement le 14 août que l’Assemblée décide de procéder à un inventaire du Garde-Meuble.
    Thierry est arrêté le 14 août et c’est son beau-frère, Lemoine-Crécy, qui assure l’intérim de la garde du Mobilier national. Le successeur de Thierry est nommé par Roland, le ministre de l’Intérieur : son choix, sur la recommandation de l’énigmatique Pache, s’arrête sur … Restout. Il entrera en fonction sitôt l’inventaire effectué.

    A partir de ce moment, les événements sont de plus en plus troublants, à la fois par la lenteur avec laquelle l’opération est menée et par une série de coïncidences incitant à penser que toutes les mesures avaient été prises pour favoriser un vol providentiel, rendant inutile toute vérification.

    Le 31 août 1792, des commissaires nommés par l’Assemblée des joailliers parisiens - hostiles à la Révolution -, Lemoine-Crécy et Restout se réunissent au Garde-Meuble. Troublé, Lemoine-Crécy déclare d’emblée que « lors de l’apposition des scellés par les commissaires de la Municipalité sur une des portes de lui, sieur Crécy, il avait déclaré que pour plus grande sûreté, il avait cru devoir retirer de la salle des bijoux les diamants dit de la Couronne pour les déposer dans un cabinet attenant à son appartement ».

    On lit en effet dans le procès-verbal qu’il fit retirer de son appartement neuf coffrets fermés qui furent, en présence des commissaires, replacés dans la salle des bijoux. La suite est reportée au lundi suivant. Cette journée est tout entière consacrée, non pas à l’inventaire des diamants, mais à celui des objets en bronze. Le lendemain c’est le tour des pièces d’orfèvrerie, et ainsi de suite jusqu’au 6 septembre, date du dernier procès verbal d’inventaire.

    Ce jour-là, les neuf coffrets censés contenir les diamants n’ont toujours pas été ouverts. Pour des raisons obscures, les choses traînent de plus en plus : tel joaillier convoqué pour la séance suivante n’est pas là - il prétend n’avoir pas reçu d’ordres -, si bien que le vol du Garde-Meuble a lieu quelques jours après sans que personne, même pas le ministre de l’Intérieur Roland, ne sache ce que renfermaient les neuf coffrets de diamants retrouvés fracturés et vides.

    En novembre, le procès des « petits voleurs » a lieu. On avait retrouvé sur eux que quelques diamants. Au reste, si l’on compare le nouvel inventaire, (Archives de Paris DU1 29), fait le 8 janvier 1793, à celui de 1791, il apparaît qu’il restait bien peu de chose du trésor de la ci-devant Couronne de France. Ce qui surprend aussi, c’est la facilité avec laquelle les « petits voleurs » se sont introduits dans le Garde-Meuble, l’enquête montrant que l’opération se déroula même en trois nuits consécutives, du 13 au 16 septembre 1792, date à laquelle une patrouille les prit en fait.

    On s’étonne encore que, malgré les réclamations de Restout auprès de Santerre, commandant de la Garde nationale de Paris, la surveillance n’ait pas été renforcée : il n’y avait, le 9 septembre, que six homme au lieu de vingt, comme prévu, autour du Garde-Meuble : il ne s’en trouvait que « quatre à cinq au poste du côté droit de la rue Saint-Florentin, qu’un seul » (AN, F7-4774 90 V p.11).

    Restout est-il sincère et ses « réclamations » ne sont-elles pas destinées à le couvrir ? Les déclarations d’un garde, Michel, au Tribunal révolutionnaire, en 1794, jettent un doute : il indique à Fouquier-Tinville comment, la veille du vol, vers onze heure du soir, Restout l’a fait monter dans ses appartements pour lui recommander de « laisser ses portes ouvertes en posant une sentinelle à la porte [sic], à quoi Michel a dit qu’il ne pouvait pas ».

    De l’interrogatoire, il ressort encore un peu plus tard, qu’on lui a offert du vin et que, un peu plus tard, on l’a fait descendre un étage plus bas, dans un salon élégant, où il y avait plusieurs femmes « qui se mirent à vouloir l’amuser en le caressant de toutes manières possibles [..] Ferme dans les principes, il ne fut pas tenté d’écouter les dames du second [non plus] que les messieurs du troisième » (AN, W 376, p. 67 à 66).
     

    Soupçonné de connivence avec les véritables voleurs du Garde-Meuble, Restout est arrêté en 1793 et « oublié » en prison, jusqu’au 9 thermidor, date à laquelle il est libéré.

    Il mourra un an après. Thierry de Ville-d’Avray, arrêté en août 1792, est massacré à la prison de la Force le 6 septembre. Le citoyen Duvivier, parent de Mme Lemoine-Crécy et fondé de pouvoir du mari de celle-ci, est reconnu coupable « d’avoir distrait des objets du Garde-meuble » et condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire. Son exécution est suivie, en prairial, par celle de Mme Lemoine-Crécy, impliquée dans la « conspiration de l’étranger », puis par celle d’Alexandre Lemoine-Crécy, en messidor.

    Leur dossiers d’instruction sont décevants car les interrogatoires qu’ils subissent, au moins officiellement, sont restés confidentiels. Curieusement, c’est plusieurs mois après son arrestation que Lemoine-Crécy, protégé, semble-t-il par Fabre d’Églantine, fut identifié par le Comité de sûreté général comme étant « beau-frère de Thierry » et comme ayant été « détenteur des diamants du Garde-meuble » (AN, AF+ 11 290, F°70).

    Mais où donc sont passé les diamants ? La thèse officielle - celle des petits voleurs du 16 septembre - à laquelle, faute de mieux, Roland dut souscrire et que les girondins, soupçonnés, traînèrent comme un boulet, donna le champ libre aux interprétation des agents royalistes.

    La duchesse de Fleury, agent de l’Angleterre, parle du député Carra, envoyé par Danton pour remettre au duc de Brunswick « grand amateur de diamants », quelques exemplaires des diamants de la Couronne : tout cela « à la connaissance de Danton et du vertueux Roland qui, pour une fois, paraît avoir su tenir sa langue devant sa femme » (Journal, Paris, 1981, p 80).

    Le comte d’Allonville, lui, raconte comment un autre député, Billaud-Varenne, fut envoyé en grand secret auprès de Brunswick pour « acheter » la victoire de Valmy (Allonville, « Mémoires secrets », Paris 1838). Selon lui,

    le produit des pillages des Tuileries et du Garde-Meuble aurait été utilisé par Danton, ministre de la Guerre en septembre 1792, pour corrompre le général prussien.

    Mais la propagande contre-révolutionnaire trouve aussi trace des diamants de la Couronne dans la valise de l’ambassadeur français de Sémonville enlevé par les Autrichiens alors qu’il était en route vers Constantinople pour acheter la neutralité de la Turquie …
    Plus extraordinaire est la thèse lancée par l’auteur anonyme de l’ « Histoire secrète de l’espionnage pendant la Révolution » (Francfort, 1799, p 141) :

    « S’il est possible de croire un coquin qui en accuse un autre, on doit soupçonner Pétion [le maire de Paris] et Manuel [procureur syndic de la Commune] d’avoir dirigé le vol du Garde-Meuble. Fouquier-Tinville en donne au moins une preuve marquante dans son exposé contre Manuel : « Tous les auteurs du vol arrêtés, dit-il, ont été reconnus pour avoir été relâché des prisons dans les journée des 2 et 3 septembre ; c’étaient dont des voleurs adroits épargnés à dessin ». »

    L’accusation lancée contre Pétion est pareillement développée dans la dénonciation inédite d’une prisonnière des geôles de la Terreur, la citoyenne Ferniot, qui semble avoir joué le triste rôle d’indicatrice. Elle accuse ouvertement Pétion et l’administrateur de police Samson du Perron d’avoir favorisé sinon organisé le vol avant le 10 août 1792.

    Sous sa plume apparaissent encore les noms de Collenot d’Angremont et des ducs de Brissac et de Broglie qui seraient chargés de mettre en lieu s^r le précieux dépôt. « Après cette affaire faite, le restant du Garde-Meuble entre les mains des voleurs de Paris ».

    Avec toues les réserves qui conviennent sur la crédibilité d’un témoignage, celui-ci n’en confirme pas moins Pétion, le maire de Paris, entretenait secrètement jusqu’au 10 août, des relations privilégiés avec la famille royales. C’est ainsi qu’il pourrait avoir aidé au succès de l’opération. D’autres personnages, Soltho-Douglas, Samson du Perron et Delattres ((d’après lesTouchard-Lafosse in Souvenirs, 1840, III, p 259) qui était chargé de l’inventaire de 1791) avaient, quant à eux, partie liée avec la contre-révolution royaliste que Collenot d’Angremont avait montée à l’instigation des Tuilerie.

    Santerre lui-même qui comme Pétion, aurait été acheté par des conseillers occultes de Louis XVI pour empêcher le 10 août, avait fait preuve d’une négligence des plus suspectes en ce qui concerne la surveillance du Garde-Meuble.

    Le 20 frimaire an II, Voulland, membre du Comité de sûreté général, déclara à la Convention la découverte (sans préciser chez qui, par qui et comment) du plus beau diamant, le « Régent ». Trois mois après, le Comité de sûreté général assurait avoir découvert le « Sancy » et quelques petits diamants de moindre importance. Mais les doutes subsistent : le 4 avril 1794, la Commission temporaire des Arts charge le citoyen Nicot d’assurer la « vraie estimation » des diamants.

    Le rapport, en date du 25 floréal, est imprécis et ne comporte que des généralités : « Il est évident que les puissances coalisées n’ont cessé, depuis la Révolution, de nous enlever par le moyen de leurs agents les trois quarts des objets les plus précieux que nous possédions en ce genre, et cela dans l’espérance de nous les revendre le double du prix de leur acquisition. » Quelques jours plus tard, Cambon monte à la tribune et déclare à la Convention :

    « Vos Comités de salut public, des finances et de sûreté générale vous prient d’ordonner le levée des scellés apposés sur le diamant qu’on croit être celui qu’on appelait « Pitt » (l’autre nom du « Régent ») et qui était estimé à douze millions » à des fins d’expertise. Le rapport, confidentiel, n’est pas connu, ce qui évidemment jette un doute sur la valeur des trouvailles du Comité de sûreté générale.

    C’est seulement après la Révolution qu’une partie seulement du Trésor fut reconstitué. Racheté, échangé, saisi chez un particulier ?

    On s’interroge encore sur la date et les circonstances dans lesquelles le « Régent » réintégra le Trésor. En l’an IV, les fournisseurs étrangers exigeaient des garanties : le « Régent » fut consigné à la banque de Bâle au profit du banquier berlinois Treskow, fournisseur de chevaux, qui fut désintéressé en fructidor an VI (août 1798). La pierre fut presque aussitôt remise en gage au profit d’un banquier hollandais qui la garda jusqu’en ventôse an IX (mars 1801). Le « Sancy » passa successivement entre les mains du marquis d’Iranda, puis de Godoï et du roi d’Espagne qui, pour les besoins de la guerre, le vendit à la famille Demidoff.

    D’autres pierres furent fractionnées, vendues, dispersées et font, encore aujourd’hui, sous une taille différente, la fierté de collections étrangères. Le « Grand diamant bleu », qu’on retrouve au XIXème en Angleterre, a été acheté en novembre 1984, pour la somme record de 4,6 millions de dollars (idem euros) par un marchand arabe lors d’une ventes aux enchères à Genève.

    En tous points, le vol des diamants de la ci-devant Couronne fut un succès pour ses organisateurs : girondins et montagnards se montrèrent incapables de surmonter leur antagonisme pour rechercher les vrais coupables, se bornant à se relancer périodiquement la responsabilité du vol. Il eût d’ailleurs été peu habile de donner un retentissement particulier à cet événement, sans importance en soi, - mais dont la nature risquait de contrarier singulièrement l’opinion. L’affaire fut donc « enterrée », d’autant plus vite que, dès novembre 1792, la découverte de « l’armoire de fer » et la perspective du jugement de Louis XVI mobilisaient l’attention des uns et des autres.

    Les grands diamants de la Couronne de France.

     

    Nom

     

    Poids taillé Origine Dernière localisation
    Le Régent ou le Pitt 136 carats Indes - France : 1792
    - Réapparaît après la Révolution
    - Réintègre le Trésor sous l'Empire.
    Le Miroir du Portugal ? Indes - France : 1792
    Le Grand Diamant Bleu ou le Hope 68 carats --- XVIII ème siècle
    44 carats --- XIX ème siècle
    Indes - France --- 1792
    - Angleterre : XIX ème siècle
    - États-Unis : 1958
    - Vendu à Genève 14,6 millions de dollars : 1984
    Le Sancy 53 carats ? - France : 1792
    - Espagne : XIXème siècle
    - J. Demidoff : 1828
    - Maharadjah de Patialia : 1865
    - France : 1936
    Le Diamant de la maison de Guise ? Indes - France : 1792

     


     

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